Meschac Gaba est né en 1961 à Cotonou (Bénin). Il a étudié à la Rijksakademie voor Beeldende Kunsten d'Amsterdam en 1996-97 et vit actuellement à Cotonou (Benin).
Comme pour questionner l'identité, la différence culturelle et les relations postcoloniales, le travail de Meschac Gaba va de la peinture à la sculpture, la structure, l'objet recyclé ou le modèle des villes faites de cheveux tressés artificiels.
"Impressions d'Afrique"
Par Pascal Neveux
Revue DITS n°19, 2014
pp. 8-15
Lorsqu'en 1721, un auteur, sous couvert d'anonymat, fait paraître à Amsterdam les Lettres persanes, il participe avec éloquence de cette fervente curiosité qu'a connu tout le 18ème siècle pour l'exotisme, l'Orient et le goût des lettres. Cette oeuvre épistolaire de Montesquieu raconte le voyage à Paris de deux Persans, Usbek et Rica. Leur séjour qui dure huit années, est pour eux l'occasion d'observer la société et le mode de vie des Français, leurs coutumes, leurs traditions religieuses ou politiques, et d'en faire le rapport à leurs interlocuteurs restés en Perse. Ce n'est ni plus ni moins qu'un journal de voyage pittoresque tenu par deux épistoliers et enrichi par les lettres de nombreux autres correspondants, qui offre une très riche polyphonie de points de vue sur notre société. Ce « regard persan » favorise ainsi l'ironie à l'égard de coutumes décrites d'un autre point de vue : les périphrases et les italiques aiguisent la satire car elles obligent à redéfinir factuellement les choses et les désacralisent, le vocabulaire persan appliqué à des valeurs occidentales ridiculise leur ethnocentrisme. A la surprise manifestée par les Persans répond d'ailleurs un autre étonnement : celui des Parisiens, condensé par la formule célèbre de la lettre XXX « Comment peut-on être Persan ? ». Enfin et surtout le roman vaut par son procédé, que Paul Valéry à subtilement analysé « Entrer chez les gens pour déconcerter leurs idées, leur faire la surprise d'être surpris de ce qu'ils font, de ce qu'ils pensent, et qu'ils n'ont jamais conçu différemment, c'est au moyen de l'ingénuité feinte ou réelle, donner à ressentir toute la relativité d'une civilisation, d'une confiance habituelle dans l'ordre établi ». Ces vertus du regard étranger, Meschac Gaba en a fait l'essence même de son projet et il est truculent de voir à quel point Usbek et Rica pourraient aujourd'hui être les compagnons de route de l'artiste dans ses pérégrinations contemporaines et son questionnement de la mondialisation de l'?uvre.
Meschac Gaba s'est imposé ces dernières années comme l'un des artistes africains les plus novateurs de sa génération. Dans ses productions protéiformes, il se joue des préjugés de l'art africain traditionnel en s'efforçant de mettre en évidence les signes de la modernité africaine. Perruques voiture, Perruques architecture, Voyage-Colis ou encore Archéologies contemporaines constituent un corpus d'oeuvres insolite, dont la mixité des objets révèle un formidable métissage. Interrogeant la notion d'identité, de différence culturelle et les rapports postcoloniaux, son travail joue une partition subtile entre fiction et réalité, détournements et inventions d'une grande ingéniosité.
Né à Cotonou en 1961, vivant désormais au Pays-Bas depuis 1996, après des études à la Rijksakademie, l'artiste n'a pas tiré de ce déplacement la notion d'exil ou d'émigration forcée, encore moins la nostalgie d'une terre à laquelle il aurait été arraché ou la mélancolie sur un retour fantasmé. Car Meschac Gaba se préfère voyageur sans frontières et citoyen du monde. Il préfère un regard d'une grande acuité et objectivité sur nos sociétés, s'amuser de ses visions stéréotypées et de ses idées préconçues sur l'Afrique pour en faire le c?ur même de ses propositions artistiques. Cette attitude lui permet d'affirmer une vision globale et résolument contemporaine de l'Afrique, de penser le collectif et le particulier, le local et le mondial, la tradition et la globalisation, nous livrant une approche de ce continent à mille lieues de l'exotisme caricatural qui persiste encore aujourd'hui lorsqu'on parle de se territoire. Le projet de Meschac Gaba est certes ambitieux non seulement au sens où l'artiste réussit de cette façon à s'émanciper du qualificatif d'« artiste africain », mais aussi parce qu'il oblige le public à reconsidérer cette façon de mettre systématiquement des étiquettes tout en défendant l'expression « L'homme n'a rien crée, il n'a fait que transformer ce qui existait. »
Fiction archéologique
Meschac Gaba s'attelle depuis presque vingt ans à la réécriture d'une histoire contemporaine du continent dont il est issu. Jouant sur les clichés qui ont cours dans le monde de l'art, il a décidé de déconstruire les idées reçues et de détourner le sens conventionnel de certaines notions, comme celle de musée, pour les adapter à sa propre vision du monde. Avec un humour et une distance acquis au fil des années, il nous raconte un monde en devenir. Son travail dans son essence, revoie à ce que disait Boris Vian en exergue de L'Ecume des jours « Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée d'un bout à l'autre ». L'histoire qu'il nous raconte est une histoire très ancienne qui remonte à l'origine des temps, comme une fiction archéologique où le passé et le présent se confondraient. Ses Perruques voiture et Archéologie contemporaine son emblématiques de sa manière de déchiffrer les signes qui l'entourent. Il joue dans ces séries de la juxtaposition des contraires. L'archéologie peut-elle être contemporaine et les objets quotidiens des éléments d'étude pour les générations à venir ? Quant aux perruques (les perruques objets par exemple) elles symbolisent chacune une création célèbre : le triangle pour Pythagore, le feu de signalisation tricolore pour Garett Morgan, la faucille et le marteau pour Karl Marx, le saxophone revenant à Fela Kuti ; elles illustrent le conflit immémorial entre les anciens et les modernes ainsi que la tradition d'aspirations aux complices qu'opposées dans notre société devenue consumériste. Les questions qu'il pose, avec cette posture faussement naïve, sont celles d'une globalisation qui voudrait annihiler toute dissemblance. Ses expositions ne s'essayent pas à remonter le cours du temps, ne cèdent pas aux critères d'une exposition ethnographique, de l'analyse anthropologique mais tentent d'apporter à la question de l'écriture d'une exposition une réponse originale : celle d'une « exposition d'auteur « où l'exposition se trouve pleinement conçue comme un dispositif, comme une forme en soi, sociétale, politique, autonome et indépendante. L'exposition ici n'est pas un discours sur l'art, elle n'est pas une leçon de musée ni un simple accrochage d'?uvres ethnographiques et/ou faussement archéologique. Elle n'est pas une histoire de l'art africain mais bel et bien une forme narrative avec laquelle Meschac Gaba déroule un récit, celui d'une culture locale globalisée, abordant les questions de l'appropriation culturelle, de la critique institutionnelle et celles de la marchandisation et de la dévaluation de l'argent plus particulièrement.
Meschac Gaba questionne avec subtilité cette notion « d'exposition d'auteur » revendiquée par nombre de curateurs et commissaires d'exposition depuis Harald Szeemann. Cette notion appelle à distinguer, au sein d'un écosystème de l'art, une pratique signée et pensée de l'art de l'exposition. Sous son regard, l'exposition n'est plus seulement une pratique, ni une simple manifestation éphémère : c'est une forme politique de l'exposition où l'artiste donne à voir l'essence même de son projet et révèle la dimension sociétale de son travail par la mise en scène de ses sculpture, performances, déambulation, souvent avec ironie. Il s'inscrit ainsi dans des problématiques liées au déplacement interculturels des objets, tout en questionnant avec acuité la notion de musée, mémoire de civilisations, comme outil de connaissance et de conscience de l'ici, de l'ailleurs, à l'heure où les musées de civilisation et de société fleurissent en France et à l'étranger.
Museum of Contemporary African Art
Dès 1997 Meschac Gaba lance le projet de créer un « musée d'art contemporain africain » (Museum of Contemporary African Art). Pendant plusieurs années, il fait circuler ce musée mobile en douze « espaces » dans plusieurs institutions internationales, de la documenta XI à la Tate Modern en 2013. Désabusé et ironique vis à vis de la représentation de l'art contemporain africain dans les musées occidentaux, il pose les premières pierres d'une ?uvre humaniste, mouvante, mutante, amusante, collaborative et interactive : son propre Musée de l'art contemporain africain. Il organise par exemple des processions et d'autres actions-performances documentées en vidéo dans le Cotonou, allant des quartiers modernes aux places de marché. Ici, point de sculptures « artistique », « ethnographiques », « traditionnelles » et « africaines ». Les salles de ce musée remplies d'humour, impliquent la plupart du temps la participation du visiteur et/ou celle de l'artiste. Le public joue du piano dans la « Salle du Musique » construit son propre musée avec des cubes de bois d'enfants dans la « Salle d'Architecture », déguste des plats préparés par d'autres artistes africains au « Restaurant du Musée », peut acheter des ?uvres de ces autres artistes à la « Boutique du Musée ». Un espace ouvert, vivant, largement autobiographique, surréaliste par sa dimension artisanale, où les rôles sont inversés, où il ne s'agit pas simplement de regarder les ?uvres produites par d'autres, mais d'y prendre part.
En archéologue et fin scrutateur de notre quotidien, Meschac Gaba combine la plus grande modernité avec les gestes les plus simples, les plus familiers. Le banal ou l'ordinaire côtoient le geste de l'artiste qui fait naître de ses matériaux divers, nobles ou pauvres, des formes qui disent notre époque et ses petites hypocrisies.
Toutes ces ?uvres sont prétextes à une observation scrupuleuse d'une géographie globalisée, d'une économie mondialisée et des stratégies politiques à l'?uvre aujourd'hui à l'échelle d'un village, d'une nation, d'un continent.
En instaurant ce regard singulier et pluriel, Meschac Gaba se joue du pittoresque mais le met au service d'une réflexion philosophique sur la réalité des coutumes et la recherche d'un ordre universel bâti sur un retour lucide à la raison. Vaste et ambitieux projet d'une démarche artistique épistolaire d'une grande justesse qui évite le piège de la gravité surjouée au profit d'une subtile et jubilatoire énergie créatrice.
Expositions personnelles
Centre Pompidou, Paris, FR
Pérez Art Museum Miami, US
Studio Museum Harlem, New York, US
CNAP National collection, FR
FRAC Basse Normandie, FR
FRAC Réunion, FR
TATE Modern, London, UK
Musee de l'histoire de l'immigration, Paris, FR
Tate publishing, July 2013
STEVENSON, July 2013
Hans Belting, Andrea Buddensieg and Peter Weibel, May 2013
Rein Wolfs / Walther König, Köln, August 2010
Michael Stevenson, October 2009
Michael Stevenson and the Johannesburg Art Gallery, January 2007
Centre Pompidou, May 2005
The Studio Museum in Harlem, NY, January 2005
Artimo Foundation - Biennale di Venezia - Dutch Pavilion, May 2003
Artimo Foundation Museum of contemporary african art, May 2001