VERNISSAGE DIMANCHE 12 JANVIER, DE 15H À 19H
AMAREM
Face A
Piste 1
Partons d’un crépitement, d’une couleur, qui nous enveloppe avant que le diamant n’aille se loger dans le sillon. On n’en sortira plus. On évacue le contexte, la platine, la pochette, le fétiche, pour ne garder que la masse noire et sa surface. Visuellement, on est loin de la partition, qui rend compte de manière explicite des variations, des souffles, des latences, des rythmes, de toutes choses que le vinyle ne condense qu’en un fil invariable. Il est inouï de se dire que tant de subtilités, de sensations possibles, d’échos, se nichent au cœur de ce sillon, dont toute aspérité nous échappe, qui ne semble différent d’aucun autre, d’aucune autre rayure, d’aucune autre ligne. Et pourtant…
Piste 2
Hiding from the rain and snow
Trying to forget, but I won't let go
Looking at a crowded street
Listening to my own heartbeat
Take Me To Your Heart, Eurythmics
Piste 3
Nos conversations autour de l’exposition ont très vite dérivé, sont sorties du sentier que nous essayions de tracer. La musique et les sentiments ont pris le dessus, très rapidement, très naturellement, bien que nous cherchions à redresser la barre en permanence. Et puis après tout, si c’était cela, finalement, notre sillon ? C’est en tout cas, de façon évidente, un de ceux que Gerald Petit emprunte spontanément, par le dialogue comme par le travail. Sa pratique est en effet nourrie d’échanges, de conversations, de sentiments, qui en constituent une trame insaisissable. Ses œuvres sont traversées de personnages aimé.e.s et aimant.e.s, de liens d’amitié et de confiance. Ses liens peuvent être investis jusqu’à l’échelle des expositions, souvent sujettes à des invitations, à l’image de sa dernière exposition Ni Île, écrin accueillant les présences de celleux qu’il considère comme sa “tribu”. La photographie, qu’il pratique depuis ses premières années d’étude, permet aussi de donner un corps, parfois un visage, à ces présences, qu’il peut ensuite invoquer à sa guise. Chaque exposition permet ainsi de voir correspondre des figures particulières, créant de nouveaux liens, de nouvelles expressions ou associations. L’idée du sillon, dont les aspérités font la singularité et la magie, se retrouve aussi dans la façon dont Gerald Petit conçoit et investit la forme de l’exposition. L’architecture, donnée figée, linéaire, se trouve transformée par les œuvres. Sa structure n’est pas affectée directement – bien que l’on puisse à certaines occasions voir émerger des murs de curieux fils colorées – mais le chemin et le récit que tissent les œuvres lui confèrent une dimension nouvelle. Il est sans cesse question d’équilibre, entre espace, formes, narration et poésie, dirigé par un désir de révéler le plein potentiel d’un lieu, lui octroyer une charge intime et propre, jusqu’à ce que la perception se substitue au regard.
Piste 4
Polaroïd, roman photo
Aimant les flashes sentimentaux
Humanoïde, incognito
Amour impossible et mélo
Polaroïd/Roman/Photo, Ruth
Piste 5
La pratique de Gerald Petit a su se définir sans ancrages, sans retenues. L’exposition le montre, et l’incarne. La photographie et la peinture se côtoient, le geste et le concept aussi. Au fil des années, sa pratique a su prendre des virages inattendus, se renouvelant sans cesse, tout en gardant une cohérence, à certains endroits subtilement hermétique, mais particulièrement singulière. Chaque forme est une nouvelle tentative de rendre compte, de dévoiler, cherchant avec détours et minutie la source d’une chose mystérieuse qui infuse le travail – un sentiment, un instinct ? C’est une quête ardue, assidue, qui se défait comme elle se fait, mais dont on peut discerner quelques manifestations dans des détails et des émanations : des nuages, qui n’en sont pas, émanant d’une profonde obscurité, se jouent de notre perception dans des toiles abstraites qui ne se composent ni de blanc, ni de noir ; des figures colorées échappent à la mise au point et nous toisent dans un flou énigmatique et fluorescent ; des corps se figent, contre toute attente, interrompant des mouvements dont on n’aurait jamais pensé qu’ils puissent se laisser capturer. On y sent un désir de façonner un paysage existant au monde, sans le brusquer. L’entreprise prend du temps, de l’abnégation, et de la distance, là où elle n’existe pas toujours. Le sillon se creuse par petites touches, celles qui de loin semblent dérisoires, discrètes, évanescentes dans l’immensité, mais qui, lorsqu’on a la chance de pouvoir les observer de près, ont la faculté de déséquilibrer tout le champ du sensible. Sans grands gestes ni grandes paroles, mais avec le naturel de “celui qui fait son miel”, me souffle-t-il.
Piste 6
So let the rain come down
Let the rain come down
Let the rain come down, down
Let the rain come down
Let the rain come down
Let the rain come down, down
17 Days, Prince
Face B
Piste 7
Le crépitement, à nouveau, qui s’immisce dans tous les recoins. On finit toujours par l’oublier, jusqu’à ce qu’un vide s’installe, un palier, un soupir. Puis il se noie à nouveau.
Piste 8
Something in that cloud in the sky
Something
Do you feel it passing by?
Whatever it is
Makes me wonder why
Sometimes I sit here and wonder why
Makes me wonder
Birds that fly in the sky
Wonder, they wonder why
Everyday, seasons passing by makes me
I wonder why
Sometime in the evening it makes me sad
Something, Al Green
Piste 9
Il y a quelque chose de beau et d’apaisant à penser que la forme du sillon n’augure rien de ce que le diamant saura retranscrire. On ne parle pas ici de destinée, mais de possibles, et de contraintes. Les deux ne cessent de se répondre au fil de l’exposition. Les secondes se distinguent relativement facilement. Ce sont les contraintes de l’image, de la matière, de la peinture, du temps qu’elle met à sécher, de ses réactions chimiques qui conditionnent jours et nuits, perturbent le réel, troublent la vision ; celles de l’objectif, du papier, du format ; celles du rythme – devoir finir une exposition, devoir finir un texte ; celles de la langue, de la parole, comment dire, comment traduire, comment faire exister tout ce qui nous échappe ; celles qui nous dépassent, nous portent ou nous affligent, que l’on adresse sans nommer ; celles de la grammaire qui semble figer notre perception collective, à moins de jouer de tours de passe-passe. Dans AMAREM, Amar (le verbe aimer en portugais) se conjugue au futur du subjonctif, à la troisième personne du pluriel. C’est un titre libérateur, qui charrie un infini de possibilités, dont l’exposition se fait un humble messager, faisant dialoguer un ensemble de manifestations, signifiantes de ce qui peut exister. AMAREM, composé d’une sélection de pièces dont certaines remontent à 28 ans, se déploie comme une variation nouvelle d’un ensemble de notes qui, sans cesse remaniées, portent une parole de renouveau, à l’image d’un ciel chargé que l’on observe se dévoiler comme par magie.
Piste 10
Looking into the sky
Ask the sky why I see blue in windowless rooms
Ask the indigo moon
Does she have any room for me?
Just one seat, one seat in the sky
If there’s no seat in the sky (will you forgive me???), Saya Gray
Piste 11
Il n’y a pas de limites au paysage qui se déploie face à nous, en tout cas pour celui qui le traverse. Lorsqu’une chose se présente face à moi, elle semble d’abord n’exister que dans mon regard, puis le monde se remet en route autour d’elle. Si j’ai la chance d’extraire cette chose de son sillon, je le ferai – un caillou sur mon étagère, un pétale dans un carnet. Sinon, je n’oublierai pas ce que j’ai vu, et je verrai à nouveau.
Piste 12
Endlessness
Nala Sinephro
Taddeo Reinhardt, décembre 2024.
AMAREM, exposition de Gerald Petit, galerie In Situ - Fabienne Leclerc, du 12 janvier au 1er mars 2025.