Mark Dion - Arabesque Rarities
Texte de Natacha Pugnet
L'histoire des cabinets de curiosités, des "wunderkammern" puis du musée ont profondément nourri la démarche de Mark Dion. Pensées comme des microcosmes, l'armoire et la vitrine lui offrent un contexte où la mise en exposition des éléments matériels agit comme un révélateur de nos relations au monde. Arabesque Rarities n'échappe pas à la règle ; cependant, contrairement à la plupart des cabinets réalisés par l'artiste, celui-ci ne comporte aucun objet trouvé. Les naturalia et artificiala - coquillages, coraux, plantes étranges jouxtant silex, statuettes anatomiques ainsi que divers prodiges techniques ont ici pour modèle des gravures empruntées à un ouvrage datant de 1704, Die geöffnete Raritäten- und Naturalien-Kammer, attribué à Paul Jacob Marperger. Révélateur du goût d'une époque et d'une réflexion théorique en cours d'élaboration, ce type d'inventaire éclectique prévaut jusqu'aux Lumières. Les mirabilia, rappelle Patricia Falguières, « excèdent les catégories du beau et de la représentation [...] elles nous renvoient à la logique du mémorable ». En effet, de l'Antiquité à la Renaissance, l'art de la mémoire reposait sur un classement des collections au sein d'une structure mobilière telle que le cabinet.
À l'origine de toute collection, et quelle qu'en soit la visée, préside un geste d'appropriation. Il y a quelques siècles, une main anonyme a ramassé - nous ne saurons jamais en quel lieu - l'étoile de mer dont nous contemplons la réplique. Avant cela, elle a été dessinée, une gravure en a été tirée, le désir de nomination et de connaissance du visible allant de pair avec sa traduction et réduction iconiques. Modelés en plastiline blanche, selon un procédé voulu plus proche du travail de l'amateur que de celui du sculpteur, les spécimens et curiosités de Dion sont une nouvelle fois appauvris : neutralisés, la diversité de leurs matières gommée, ne subsiste que l'apparence fantomatique de leur configuration. Ce qu'ils gagnent en qualité plastique, ces simulacres aux pures arabesques le perdent en réalité. Des artefacts reproduits, nous avons d'ores et déjà oublié le sens de leur usage. Et si nous sommes encore capables, par l'esprit, de redonner texture et couleur au règne du vivant, sa réification n'en apparaît que plus mortifère. Procédant d'une suite de représentations, les abstractions d'Arabesque Rarities se présentent comme un condensé temporel. Cependant, de transposition en transposition, l'existence première des choses s'estompe irrémédiablement. Chez Dion, la création et l'histoire sont envisagées comme des processus dynamiques, lesquels engendrent de l'entropie. Simultanément parabole de la perte de l'origine et constat lucide, ce cabinet contemporain apparaît comme l'emblème d'une dissolution du réel dans ses doublures. Il montre le spectacle uniformisé d'une coupure d'avec le sensible, signe d'un rapport au monde désormais archéologique.