« Je m'intéresse beaucoup aux animaux et à leurs mode de vie, ainsi qu'à l'écologie, mais mon travail ne concerne pas la nature : il s'agit d'idées sur la nature. L'essentiel de ma préoccupation est de comprendre comment nous sommes parvenus à notre appréhension actuelle du monde naturel et quelle relation nous avons avec lui. »
Conçu à l'occasion de l'exposition, le diorama Paris Streetscape reproduit un paysage urbain parisien à l'aube, au moment où les animaux règnent en maître sur les trottoirs et les poubelles. Submergé par les déchets, le diorama rompt avec la vision idyllique des mises en scènes traditionnelles d'animaux dans leurs écosystèmes naturels. L'artiste a uniquement sélectionné des espèces animales « citadines » - pigeons, corbeaux, chats qui depuis plusieurs décennies ont adaptées leur organisme à la pollution des villes. Le décor est entièrement réalisé à partir de déchets, affiches et graffitis qui représentent des animaux, donnant ainsi l'impression d'une ville sous leur emprise.
Le diorama est inséré dans une caisse de transport, surmontée de roues qui permettent de le transporter tel quel. Cette oeuvre appartient à la série des « mobile dioramas » que Mark Dion élabore depuis plusieurs années : « Mes dioramas mobiles sont des sortes de caravanes qui représentent la nature à l'état sauvage, telle qu'elle existe en Europe, et que l'on peut déplacer d'un endroit à un autre. On peut transporter ce diorama dans différentes villes, voire dans une cité de logements sociaux où celui-ci aura pour fonction de faire comprendre l'essence de la nature sauvage. Au lieu d'extirper la nature hors de son contexte et de la transférer dans un musée d'histoire naturelle, nous allons dans le sens inverse et ramenons la nature dans la sphère sociale. »
For his work "The Unruly Collection", Mark Dion continues his investigation into the traditions of the Cabinet of Curiosity, Wunderkamer, and Kunst Kammer. For his extensive research on the topic he has gleaned images from engravings of the 15th and 16th century collections. Natural rarities, art objects and enthographic wonders found in engravings as widespread as Naples and Copenhagen were isolated and send to his team of five sculptors to remake. The artists worked with Dion to best represent the images, returning them to the world of three dimensions. Thus he builds another link in a chain of relationships which started hundreds of years ago with animals, plants and artifacts, collected far from Europe. They were then collected by a traveler, sold to a curiosity deal and the resold to a collector. This collector then exhibited the specimens in a cosmological display, where they were drawn by an artist. This drawing was later turned into an engraving, set in a book and distributed around the world. Hundreds of years later Dion picks up this severed chain and forges a new link in the history of relations. The objects Dion assembles are indeed unruly, for they were separated by continents and decades and could have never existed side by side and a manner that Dion has arranged them. To reinforce the uncanny nature of the project Dion has employed luminescent paint, which has a memory of light and glows. In a sense it is a way of acknowledgement of ghost like status of the sculptures themselves.
Mark Dion a choisi de réunir un ensemble de réalisations au sein d'une construction qui s'apparente à une cabane de chasseur, ou à une maisonnette campagnarde. Par ses matériaux et sa configuration faussement stéréotypée - avec le trophée qui en orne le pignon -, cette architecture semble tout droit sortie de contes pour enfants. Se désignant comme forme close et lieu d'exposition, elle met en lumière les conditions de présentation offertes par les foires d'art contemporain, avec ses "box" partiellement ouverts. Bref, ce Dark Museum est ici ostensiblement déplacé et se veut délibérément un envers du white cube.
A l'intérieur, le décor est celui d'un musée d'un autre âge. Référant tout ensemble au musée et au cabinet de curiosités, la vitrine et les trophées se montrent aussi comme des dispositifs ostensibles de la mise en vue. L'effet général provoque une sensation d'inconfort et de trouble, car Mark Dion recourt au grotesque, entendu à la fois au sens commun de bizarrerie et dans un sens plus littéraire, de mélange des espèces et des genres, dépassant les catégories établies.
Placé sur un lit d'objets de pacotille, le squelette d'un dragon de Komodo se présente lui aussi comme une sorte de monstre, quoique d'un genre différent. Aujourd'hui préservée, cette espèce de grand varan, dont l'origine remonte à 140 millions d'années, est aussi l'une des plus menacées. Ce prédateur à la morphologie hors normes incarne donc mieux que tout autre la fragilité du monde vivant ; les artefacts qui l'entourent, eux, sont les pauvres signes de la production humaine, de ses usages et comportements, comme de sa superficialité. L'installation est à interpréter comme la parabole de notre relation au vivant, caractérisée par l'appât de profits immédiats et les politiques à court terme.
Les trophées montrant des cerfs (Trophy) recouverts de goudron marquent semblablement les effets de nos attitudes contradictoires, entre destruction et préservation. A l'instar des dragons - et même si eux nous semblent familiers -, les cerfs sont des animaux dont le devenir est incertain. Chassés, parqués ou déplacés, ils sont en survie, étant d'ores et déjà des fossiles modernes. Venant sinistrement renforcer la réification des cervidés, le goudron renvoie à deux ères temporelles, l'une préhistorique, l'autre actuelle, où politique et économie sont gouvernées par le prix du baril de pétrole.
Mêlant la fiction et le factuel, le bizarre et l'ordinaire, le monstre et la merveille, le monde des objets et celui du vivant, le passé et le présent, Dark Museum reflète le brouillage des genres et des temporalités qui caractérise notre époque. Sa noirceur semble entériner la perte définitive de toute certitude et de toute utopie.
Bref, si Mark Dion nous propose de penser l'héritage de la modernité, ce n'est pas en revisitant ses formes. Loin de tout manichéisme et outrepassant toute inscription stylistique, jouant du hors-lieu, ses oeuvres tirent de leur apparent anachronisme leur force et leur pertinence même.
Natacha Pugnet (2011)
The Shooting Gallery est une sorte d'hybride entre cabinet de curiositeés et stand de foire. Considérés comme nuisibles ou appétissants, les animaux qui y sont diversement représentés sont ceux que l'on chasse traditionnellement - tels les cerfs, lièvres et canards -, mais également ceux que l'on tente d'éradiquer, tels les rats.
Du reste, le spectateur pourra libérer ses pulsions de destruction et mesurer son habileté au tir, comme Nicky de Saint-Phalle lui en avait offert l'occasion au début des années 1960. Les trophées en peluche, eux, nous renvoient à notre enfance et au souvenir de la douceur rassurante de leur contact. Qu'il soit envisagé comme objet d'étude, de collection ou de convoitise, le monde animal est omniprésent chez Mark Dion.
Préoccupé depuis longtemps par les enjeux écologiques, l'artiste pointe ici les tendances contradictoires de nos affects et comportements vis-à-vis du monde naturel.
Une arabesque est un motif artistique qui se caractérise par la répétition de formes géométriques et de fantaisies d'ornements souvent inspirées par les plantes et les animaux.
Suivant un processus semblable à « The Phantom Museum », 2010, les assistants de l'atelier de Mark Dion ont reçu pour instruction de produire des sculptures à partir des gravures de catalogues du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle qui servaient de guides lors de la constitution des cabinets de curiosités. Également en argile blanche ou en papier mâché, les reproductions en trois dimensions sont disposées en trois groupes, l'un concernant la végétation, le second la vie marine et le troisième l'anthropologie ou la culture matérielle.
Jean Baudrillard (1929-2007) affirmait qu'un simulacre n'est pas un reflet de la réalité, mais devient vérité à part entière : l'hyper-réel. Là où Platon (428/427 avant J.-C. - 348/347 avant J.-C.) voyait deux étapes de reproduction fidèle et intentionnellement transformée (simulacre), Baudrillard en distingue quatre : simple reflet de la réalité, perversion de la réalité, simulation (lorsqu'il n'y a pas de modèle) et le simulacre, qui « n'a aucun lien avec quelque réalité que ce soit ».
Gilles Deleuze (1925-1995) adopte un point de vue différent, peut-être plus proche de celui de Mark Dion, voyant le simulacre comme le moyen par lequel les idéaux acceptés ou la « position privilégiée » pourraient être « remis en question et renversés ».
The Tropical Collectors (Bates, Spruce and Wallace), est une oeuvre réalisée en 2009 qui fait référence aux naturalistes victoriens très peu connus et aux collectionneurs tropicaux. Ces explorateurs britanniques faisaient partie d'une entreprise coloniale et sont aujourd'hui entièrement associés à l'histoire des premières sciences et de la biologie.
Dans les années 1850, des personnes comme H.W Bates, Richard Spurce et Alfred Russell Wallace, se sont courageusement aventurées en Amérique du Sud, ont traversé le fleuve Amazone et ont collectés, au risque de leurs vies, une immense diversité de spécimens et de sujets ethnographiques.
The Tropical collectors présentent tous les attributs de ces aventuriers, comme si leur équipement venait d'arriver de l'Angleterre sur les côtes de l'Amérique du Sud.
Au cours des trentes dernières années, l'artiste a étudié la relation entre nature et culture, faisant référence au système de classification et exhibant les méthodes en usage dans les musées.
L'oeuvre Fieldwork 4 brouille la frontière entre méthode de travail scientifique et artistique.
L'artiste a prélevé des échantillons dans différents milieux naturels à Londres, chacun reflétant à la fois la situation actuelle et les aspects historiques de la capitale. En assumant l'apparence et les méthodes des scientifiques, l'artiste propose un point de vue questionnant la façon dont l'homme, au travers de la science, donne un sens au monde naturel.
Fieldwork IV a été réalisé en 2007 au British Museum of Natural History de Londres, à l'occasion du tricentenaire de la naissance de Linnée, botaniste suédois à l'origine du concept de biodiversité et initiateur de la classification du vivant. Cette installation fait partie de Systema Metropolis, un ensemble d'expositions en quatre volets qui a permis à l'artiste d'accomplir une exploration systémique des rives de la Tamise, ce long fleuve qui traverse la ville de Londres, avant de se jeter dans la Mer du Nord.
Avec une équipe de spécialistes, il a prélevé poissons et ordures de différentes sortes rejetés par le fleuve. Suivant un protocole proche des méthodologies scientifiques, tessons de verre et céramique, canettes, bouteilles vides, outils, jouets, et plus encore ont été ramassés le long des rives et au niveau des valves d'alimentation de la centrale électrique de la Tamise.
Dans Fieldwork IV, organisée sommairement par typologies, cette masse d'objets reste en attente d'un classement futur plus systématique à l'intérieur d'une grande serre. Celle-ci apparaît comme un laboratoire scientifique où les équipements et l'outillage de travail semblent juste posés, prêts à l'emploi. Visibles depuis l'entrée, à côté des déchets des activités quotidiennes, nombre de poissons plus ou moins rares (parmi lesquels le seul exemplaire d' hippocampe retrouvé dans la Tamise) sont conservés comme des spécimens dans le formol. Montrant l'étape intermédiaire entre le ramassage et le classement systématique, cette installation questionne l'autorité et la validité des critères de sélection et de classification scientifiquement admis, en rappelant que l'élaboration du savoir reflète aussi la conscience qu'une société a d'elle-même.
Le résultat que nous avons sous les yeux, cette mise à plat des trouvailles, permet de saisir un même lieu sous l'angle de la nature et de la culture, de l'économie et du spirituel.
L'impossibilité d'accéder à l'intérieur de ce « laboratoire » nous donne l'impression d'être face à un dispositif scientifique, dont l'accès est exclusivement réservé au personnel préposé. La vision du visiteur étant, filtrée par la bâche en polyester, un halo de mystère subsiste. Il marque l'écart entre le travail des scientifiques et l'idée que l'on en crée dans l'maginaire collectif. Pour Mark Dion, d'ailleurs, « si loeuvre est énigmatique, elle permet au spectateur d'avoir un rôle actif», de faire surgir la dimension humaine, avec ses doutes et ses incertitudes.
"Toujours auteur de situations plutôt que créateur d'objets, Mark Dion transforme le white cube en une savante intrication de temporalités" (Natacha Pugnet).
En plaçant au même niveau de réception l'antique et le moderne, Dion attribue aux modes de vie récents le même intérêt qu'à ceux du passé. Le flux continu du fleuve, qui traverse les terres et les époques, rétablit l'égalité entre les choses, supprime la hiérarchisation entre objet de valeur et objet courant, entre relique, pièce archéo-logique et déchet.
Ainsi, Fieldwork IV nous montre comment tout objet, indépendamment de son époque, procède d'un même processus humain, de la production au rejet, puis de sa redécouverte par les archéologues à son interprétation scientifique. L'action invisible et perpétuelle du fleuve devient ainsi le réceptacle de notre civilisation : elle ramène à la surface le vestiges du passé, en nous questionnant sur notre avenir.
En effet, la question se pose : les objets qui découlent de notre activité présente, constitueront-t-il une réalité archéologique dans le futur?
Que conserver et comment ?
Que révèle leur classification ?
Avec l'humour qui le caractérise et suivant une approche interdisciplinaire, Mark Dion se tient, selon son expression, « dans l'ombre » des méthodes scientifiques pour en déconstruire les mythologies. Il interroge les principes qui ont établit les bases de notre savoir et questionne la façon dont l'homme, au travers de la science, essaie de prendre conscience du monde qui l'entoure. C'est dans cette perspective que Fieldwork IV entre en relation avec les salles d'exposition des Musées, dans lesquelles le dialogue entre art et science, entre oeuvres anciennes et contemporaines fait échos aux questions suscitées par le travail de Mark Dion.
Il s'agit d'une cage-bibliothéque contenant une dizaine d'oiseaux vivants ainsi qu'un arbre, des mangeoires et des livres.
Un des gestes majeurs de Mark Dion est de mettre au premier plan, non pas la nature, mais l'interface entre la nature et l'histoire des disciplines et les discours dont l'objet d'étude est la nature. Une interface particulière- ment sujette à la parodie, comme dans le cas de cette pièce.
La rencontre entre les livres et les oiseaux met en scène une tentative de retour au rèel : les systèmes du savoir fabriqués par l'homme d'un côté et de l'autre un royaume au-delà de ces systèmes : la Nature dont les caractéristiques demeurent inconnues et méconnaissables.
Les oiseaux ne sont pas là juste pour tenter de comprendre comment leur espèce est décrite ou étudiée dans les livres. Les oiseaux voient comme nous les livres, mais surtout ils participent en tant que critiques constituants d'une oeuvre qui présente les références historiques qui les concernent.
L'humour volontiers absurde de cette pièce souhaite confronter les limites du savoir scientifique à la réalité du monde naturel.