Untitled (Circle Mirror - Mauve Wall)
Dans cette photographie, comme dans plusieurs de mes oeuvres, l'échelle du lieu semble complètement inexacte, les repères visuels biaisés, et l'on y décèle un lien étrange avec le monde de l'art. Il est presque impossible de savoir si l'espace photographié est celui d'une maison de poupée ou s'il a été conçu pour des personnes de taille normale. Si la porte de droite semble à notre échelle,celle de gauche paraît avoir été construite pour des géants. Le tableau circulaire, qui fait penser à un miroir, a l'apparence d'une mauvaise appropriation de l'oeuvre de Giorgio De Chirico. Le tableau et le miroir ressemblent aussi à des objets que l'on aurait pu acheter au magasin du coin. Mais qui sait ?
Ce ne sont que quelques-uns des éléments sur lesquels le spectateur peut buter. Le reste est à l'avenant : la grille du ventilateur, les interrupteurs, les petits éléments de signalisation qui agissent comme des taches de couleur, pour ne rien dire du rouge lupanar du papier peint, du miroir à saillies et de l'espace négatif sous la table. Quel hommage spontané à la gloire du postmodernisme, ainsi qu'au recyclage du recyclage contemporain.
Deux aspects particuliers de cette photographie doivent etre soulignés, car ils n'apparaissent pas fréquemment dans mon oeuvre. Il y a tout d'abord le jeu des couleurs, qui dans nombre de mes photographies tend à être harmonieux et atténué. Ici, c'est l'effet contraire. Je suis assez certaine que le décorateur ou la décoratrice savaient très bien ce qu'ils faisaient : ce mur mauve n'est pas apparu de lui-même.
En deuxième lieu, l'espace photographique, ici, repousse le spectateur. Je parle fréquemment du caractère tridimentionnel de mes photographies et l'on serait en droit de s'attendre à ce que celle-ci possède la même qualité. Cependant, bien que l'espace représenté obéisse aux règles de la perspective Renaissance - le sol est incliné, il y a un point de fuite , et caetera -, l'image demeure aussi plate qu'une crêpe. Elle ressemble davantage à un dessin qui aurait été exécuté de manière à rendre tout sur le même plan. Par conséquent, au lieu d'être tirés vers l'intérieur de l'image, nous nous en trouvons rejetés. Cet effet est sans doute partiellement attribuable à l'échelle des portes, à la présence irradiante du cercle, et à la couleur et à l'inclinaison du plancher. Outre ces éléments, je ne saurais l'expliquer.
Quoi qu'il en soit, c'est une photographie qui sied bien à la conclusion de ce livre. Elle me semble assez emblématique de ma production, de ses début jusqu'à aujourd'hui : une porte s'y ouvre, par laquelle on peut enntrer; mais il est impossible de ressortir de l'espace auquel elle mène.
Catalogue "Lynne Cohen - Faux Indices" - Exposition au Musée d'art contemporain de Montréal - du 7 février au 28 avril 2013 / Lynne Cohen & François LeTourneux (Page 42)