VERNISSAGE VENDREDI 26 MAI, À PARTIR DE 18H
Dans les heures creuses / In the off hours
Curation : Taddeo Reinhardt
Steve Bishop
Cudelice Brazelton IV
Lynne Cohen
Eli Durst
"Contingency is larger than knowledge [and] often what pleases in vision is contingency held within a frame or screen. I use the word ornament in this way."
Lisa Robertson, Nilling, 2012
Un espace est un vertige.
Il est la somme de facteurs, de traces, de passages, d'affects et de suspects. Il est la manifestation tout autant que la mémoire de la contingence de leur rencontre et de leur arrangement.
Il contient bien plus qu'il n'y paraît, et sait bien plus que ce qu'il prétend. Il tend à taire ce qui l'a traversé, ce qu'il a vu, enduré ou entendu, mais trahit dans ses heures creuses les preuves d'une activité ou d'une activation, dont la nature et la conduite se tiennent étroitement en un a priori.
Lynne Cohen s'est attelée, des années 1970 aux années 2010, à la documentation systématique et quasi protocolaire d'espaces dénués, à titre temporaire, de présence humaine. Au-delà de la rigueur et de la froideur que l'on peut prêter à son travail au premier abord, se déploie une archive que l'on pourrait nommer 'les équilibres', de situations inanimées qui révèlent les caractères singuliers, parfois absurdes, politiques et sensibles de décors quotidiens. Le lien entre la fonction et la matérialité d'un environnement est au coeur du travail de Lynne Cohen. Plus qu'un regard sur l'absence, ses photographies mettent en exergue l'incarnation d'un lieu et de l'influence des choses qui le composent.
Dans In the off hours, un ensemble de situations hétéroclites sont placées en dialogue dans une cacophonie (quasi) silencieuse, alors que seules s'échappent, dans le souffle d'une petite radio posée sur ce qui s'apparente à une table de nuit, les notes de quelques morceaux de jazz. Installant un équilibre artificiel et ambigu, une série d'univers se trouvent confrontés : l'intimité d'une chambre, l'hostilité d'une usine, l'étrangeté d'un centre communautaire, pris dans des états de suspension. Les artistes de l'exposition se servent des traces et des empreintes qui composent ces paysages communs pour invoquer différents régimes d'expérience et de perception.
Les installations et oeuvres sur papier de Steve Bishop installe un vertige, jouant d'effets d'échelle. 'The Human Situation' tient sur une page, en lettres capitales ; un bol de céréales est posé sur 'le temps présent'. Ces objets finissent par cristalliser deux mémoires parallèles : celle
d'un temps long, géologique, et celle, fugace, personnelle, de l'ordre du souvenir. L'association des objets qui composent Embraceable You renvoie autant à une série de gestes simples qu'à l'immense champ de facteurs qui les a conduits à être réalisés.
En contrepoint, Cudelice Brazelton IV fait écho dans ses deux toiles à des ensembles de gestes mécaniques, pris dans la contrainte et la répétition. La phrase « Non Conforming Material », trouvée sur une enseigne dans une manufacture d'acier, fonctionne comme une métonymie. Le traitement des oeuvres, poncées, épuisées, renvoient aux impacts d'espaces industriels sur les corps qui les activent. Dans un effet de layering et de fragmentation sont révélés des agents qui portent avec eux les enjeux de systèmes sociaux et politiques complexes : le textile, les cosmétiques, des biens manufacturés.
Les photographies d'Eli Durst documentent des scènes au caractère particulièrement curieux et étrange. Issues de la série The Community, exploration de différents espaces communautaires à travers les États-Unis, ces images portent, selon les mots de l'artiste « sur la recherche d'un but et d'un sens dans un monde qui exige et résiste à la fois à l'interprétation. » L'incongruité des situations qu'il capture laisse perplexe ou fait sourire, et matérialise la capacité de groupes sociaux à s'organiser autour de ce qui dépasse le tangible : des formes de croyance et de spiritualité.
L'exposition dessine un réseau délié de marqueurs qui charrient la complexe ossature d'un temps donné. Connectées au présent par de simples mélodies, les oeuvres installent une paralysie qui invite à l'observation et à l'introspection. Elles défient notre capacité d'interprétation et mettent subtilement en perspective, par la représentation de manifestations concrètes ou immatérielles, notre rapport à l'espace et au temps que l'on habite.
Dans les heures creuses le monde se révèle en négatif, provoquant un étourdissement, et finit par échapper à notre regard et à notre perception. Reste discret ce qui « dépasse notre savoir ». Ici peut-être se tient la mélancolie, ou la douleur, ou l'ennuie; là une potentialité ou l'impensable, un temps passé ou à venir.