VERNISSAGE DIMANCHE 15 JANVIER, DE 14H À 18H
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Depuis plus de 10 ans, je cherche des mammifères primitifs dans les sédiments oligocènes du Wyoming. Peu de choses m'ont autant ému que les semaines d'été que j'y passe chaque année. Mais il m'a fallu longtemps pour réussir à intégrer directement des fossiles dans mon travail artistique. Et ce, en dépit du fait que les fossiles sont à bien des égards semblables à des peintures et bien que les raisons qui me poussent à chercher des fossiles soient à mon avis les mêmes que celles qui m'ont conduit à devenir artiste. J'ai beaucoup essayé. Ça n'a jamais marché. Un squelette humain, c'est une métaphore : la mort, la fugacité de l'existence, des peurs ; toutes sortes de significations viennent à l'esprit. Mais le squelette d'un cheval primitif. Ça reste ce que c'est : le squelette d'un cheval primitif.
Les sédiments où j'effectue mes recherches se sont déposés au cours de la transition Éocène-Oligocène, il y a 35 millions d'années. Ce paysage aujourd'hui aride et extrêmement chaud était alors un habitat humide, couvert de forêts, aux températures modérées. On chemine dans les canyons qui sillonnent la région, cherchant de l'oeil le blanc légèrement plus clair des os et des squelettes qui se détache sur les parois. C'est une rude tâche que de les ramener à l'air libre. Chercher, trouver et préparer des fossiles rappelle beaucoup la réalisation d'une peinture.
Puis est arrivée la pandémie. Pendant deux ans, je n'ai pas pu aller aux États-Unis. J'ai regardé des milliers de photos du Wyoming. Encore et encore. La deuxième année, j'ai commencé à faire de ma nostalgie un travail. Je cherchais une sorte d'essence de mes expériences là-bas. Je voulais traduire la pictorialité des fossiles dans la structure de l'aquarelle. Les fossiles sont souvent aplatis. Comme une peinture. Ou en trois dimensions, comme une sculpture. Ils se déposent au hasard mais ce hasard produit des compositions d'une qualité séduisante. Des parties peuvent se désagréger, se déplacer, se déformer, se détacher. Un fossile est la trace des derniers moments d'un être vivant. Une trace qui peut être lue. Comme une image. J'ai peint et dessiné les photos de mes recherches comme si elles s'étaient déposées dans un sédiment. Comme si c'étaient mes souvenirs qui y étaient encastrés. Mais l'enjeu n'est pas de raconter des histoires. Les images ne racontent pas d'histoires. Elles montrent des moments.
Qu'est-ce que cela signifie, creuser le sol ? Dans la texture d'un lieu, dans son histoire. On pourrait penser que cela revient surtout à modifier un lieu. Mais les trous que je creuse disparaissent en un an ou deux. Bien différents en cela de l'empreinte que mes recherches ont laissées en moi.
Martin Dammann