La nouvelle exposition Trois éléments de Patrick Tosani constitue sa 5è collaboration avec la galerie In Situ depuis 2010, et s’affirme comme un nouveau témoignage de la cohérence du travail de l’artiste. Depuis le milieu des années 70, Patrick Tosani, diplômé d’architecture, développe une pratique artistique radicale qui explore les potentiels et les limites du médium photographique, tant sur le plan formel que conceptuel.
La pratique de Patrick Tosani semble traversée d’un questionnement simple sur ce que peut la photographie, dans ce qu’elle a de plus direct et de plus frontal. Il conçoit depuis ses premières séries des dispositifs, matrices de son travail, qui visent à explorer et repousser sans cesse les confins du médium sans le détourner. En investissant notamment les champs de la sculpture, de la performance ou de l’architecture, de même qu’en manipulant textures, espace et matières, Patrick Tosani confronte la photographie à elle-même et interroge les principes de représentation et de perception. De par sa dimension expérimentale et performative, sa photographie dévoile et investit des formes de dualité et, en conséquence, de profondeur, entre ce qui compose et ce qui construit une image, entre l’action et le geste, le regard et la pensée, la surface et l’espace, le réel et son double. Le travail de Patrick Tosani peut être perçu comme un principe méticuleux de désarticulation et d’observation des principes qui composent la photographie, tout en l’employant comme outil. Les œuvres de l’artiste se définissent ainsi par l’installation d’un dialogue constant entre ses différentes parties, qui confine parfois à l’absurde ou à l’invraisemblable, et dont il faut déchiffrer l’expression. En rendant compte avec subtilité des qualités de documentation comme de manipulation de l’image photographique, Patrick Tosani parvient à déstabiliser notre regard jusqu’à nous faire douter de la réalité.
L’exposition Trois éléments se compose d’une nouvelle série d’images et d’une sélection de projets historiques, dont certaines œuvres sont en correspondance étroite avec les nouvelles pièces. Elle rend compte de la transversalité du travail de l’artiste dont les séries, des années 70 jusqu’à aujourd’hui, se répondent et se nourrissent, tissant un maillage réflexif complexe sur la nature de la photographie.
Taddeo Reinhardt, octobre 2024
Un dispositif de miroirs est installé en pleine nature afin de capter l’espace environnant selon des orientations et des directions choisies. Il concentre ce qui est derrière l’observateur (le lointain) tout en fusionnant avec le réel du champ de prise de vue (le proche) qui se trouve face à la chambre photographique.
Ce dispositif désordonne les repères spatiaux et piège les images de l’environnement qui se fondent dans un nouvel arrangement. L’échelle des choses se trouve également altérée puisque les miroirs ont relevé les espaces lointains qui se trouvent ainsi au même niveau que les éléments proches.
Cette confrontation des espaces crée des ruptures formelles de matière, de lumière, de texture comme une agrégation et une fusion des interprétations: s’agit-il d’un leurre qui dissimule le réel, d’un montage illusionniste ou bien très simplement, de la réalité du paysage et du seul dispositif devant l’appareil photographique ?
L’intention de ce travail est de déléguer à ces objets miroirs une capacité à faire image en déstructurant la logique de représentation et en dévoilant une possibilité à inventer de nouveaux espaces et de nouveaux territoires.
Ces miroirs ont des formes aléatoires de différentes tailles et dimensions. Ils sont collés sur des supports en bois qui empruntent l’exact contour de leurs formes. Ce bois contreplaqué a vocation à amplifier la stratification de cet élément de verre qui devient une surface affleurante et révélatrice du réel reflété. Au même titre que le paysage enregistré, ce réel acquiert une factualité par la médiation de cette construction éphémère, mouvante mais fixée par la prise de vue photographique.
Ces constructions font état d’un désordre de la nature dont les lois élémentaires de la physique, de la pesanteur, de la perspective sont perturbées. Ces miroirs découpent l’espace, les éléments de l’espace, la montagne, la végétation, la rivière, les arbres, l’horizon, le ciel…
Les informations visuelles captées par ces objets-miroirs sont modulées selon leurs orientations dans l’espace et leur capacité à prendre place dans un paysage global.
Ces miroirs sont des objets agissants concrètement sur la nature environnante fractionnant et fusionnant le champ du réel. Certains miroirs font matériellement barrage dans le torrent afin d’interroger si c’est l’objet qui détourne l’eau ou bien le reflet de l’eau et son image qui constituent les véritables partitions de cette construction spatiale. Un nouveau monde fusionne et se réinvente.
Le pouvoir de la photographie est délégué à ces objets de manière aléatoire et imprévisible. C’est la transformation et le rapprochement des échelles qui induit une grille de lecture nouvelle questionnant ainsi la singularité et la fragilité de cette nature.
Patrick Tosani 2024