Constance Nouvel




Constance Nouvel, Derrière les images


par ANAEL PIGEAT


Qu'y a t-il derrière les images ? Des ses premières années à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans l'atelier de Patrick Tosani, Constance Nouvel s'est intéressée à ce qui constitue le médium photographique ; dans la 25e Image (2010), elle creusait littéralement des épaisseurs de papier collées les unes aux autres pour former des dénivelés dont chaque strate évoquait un nouveau hors-champ. Qu'elles soient naturalistes ou abstraites, en deux ou en trois dimensions, ses photographies, toujours prises par elle, explorent les notions de cadre, de profondeur de champ, de support... Dans ses premières oeuvres, la grille était omniprésente, non seulement dans les compositions, mais aussi parfois sous une forme littérale, par exemple imprimée sur une plaque de plexiglas posée sur une image (Décors II, 2010). Au salon Jeune Création 2013, elle a même exposé la simple photographie d'une grille, un morceau de tissu à l'envers, comme si, à force d'être une obsession, ce motif avait été extrait des images. Un réel mystère émane de ces compositions légèrement indéterminées. On est tenteé de penser que leur contenu importe peu, mais on se laisse happer par les bleus un peu trop bleus, les verts étrangement criards, les oranges un peu trop vifs qui colorent les eaux, les ciels et les rochers. On hésite et on devine un aquarium photographie, de dessous (Décors XI, 2011), le décor en trompe-l'oeil d'une piscine intérieure en Allemagne, dans lequel apparait un paysage de la Riviera (Décors XII, 2012), la maquette d'une montagne recouverte d'une vitrine à travers laquelle on aperçoit un diorama (Décors XIII, 2013). L'artifice qui règne sur ces scènes est significatif. Progressivement, les images de Constance Nouvel ont commencé à se déplier dans l'espace, avec Bascule (2011) notamment, oeuvre dans laquelle une photographie un peu trop longue déborde de son cadre. On dirait des nuages, une mer, du sable. Il s'agit en réalite, du reflet de la lumière venue d'une fenêtre sur un plafond. C'est le passage d'un espace réel à un espace suggèré : celui du plafond, celui de la photographie et celui du hors-cadre. La part sculpturale de ces oeuvres fonctionne comme une augmentation sensible de la photographie; elle semble pour l'artiste être un détour destiné à se repositionner dans son médium. Ainsi la série des Persistants (2014) est-elle constituée d'images contrecollées sur de petits modules de plâtre qui leur apportent une dimension inédite ; au fil de ses réflexions, et comme d'autres l'ont fait avant elle, Constance Nouvel s'est aussi interrogée sur de possibles socles pour ses photographies. Avec son oeuvre la plus récente, la Dernière Levée (2014), elle a été jusqu'à tenter de faire entrer le cadre dans l'image : elle a créé une sorte de fil dessinant un labyrinthe, qui se déroule jusqu'au centre d'un paysage maritime au coucher du soleil. De cette vision colorée, on ne devine plus qu'un dégradé. Au fur et a mesure que l'on se rapproche du milieu de l'image, se creuse un dénivelé (comme dans la 25e Image). La structure de l'oeuvre évoque les tables à jeux en marqueterie : jeux dans lesquels la dernière levée est la plus importante. Récemment, et peut-être pour tenter d'échapper à ses propres images, Constance Nouvel a entamé des recherches plus abstraites à travers la série Incidences (2013). Des feuilles de papier blanc ont été pliées et dépliées, photographiées ; puis les tirages ont été repliés et rephotographiés à plusieurs reprises. Constance Nouvel est à la recherche de « ce qu'il se passe entre la captation du réel et son adaptation en image». L'image ne reproduit jamais la réalité, semble dire cette photographie ; elle la transpose tout au plus.


Constance Nouvel





Parlant de sa méthode, Constance Nouvel recourt à une déclaration qui éclaire parfaitement son entreprise: "je choisis des sujets qui peuvent réunir par analogie différents espaces: le photographié, la photographie, et le photographique." Vaste programme, mais qu'elle conduit avec une rigueur et une inspiration renouvelées. Pas de sujets ou de répertoire iconographique spécifiques dans son travail, pas de thèmes de prédilection ou d'espaces à explorer systèmatiquement. Mais le principe d'une analyse de ce que peut être encore aujourd'hui la photographie, ce médium si propagé. C'est la philologie du photographique qu'elle a donc décidé de questionner, son histoire, ses artifices et ses procédés autant techniques que sémantiques.


Pour ce faire l'artiste met en oeuvre des dispositifs qui ont à voir avec l'installation et les trois dimensions dans de subtiles mises-en-scène spatiales où la photographie s'empare souvent de l'objet. Ceux-ci lui permettent d'introduire la dimension critique, la distance stratégique, les subterfuges qui sont inscrits dans son travail, soulignés par la présence constante du cadre. Ce sont des mises en abîme, comme dans cette image où les mains de l'opérateur déchirent l'image au premier plan pour nous dévoiler celle qui est dissimulée derrière, suggèrant un mécanisme qui pourrait se répéter à l'infini, ou celle de ce spectateur qui contemple l'image paradoxalement fixe d'un écran vidéo accroché sur un mur, ou encore celle faite d'un collage d'images déchirées qui dévoilent la géologie énigmatique d'une autre. Toutes ces images sont empruntes d'une grâce et d'une délicatesse particulières qui ne dédaignent pas les suggestions de l'imaginaire et de la rêverie, notamment au travers de l'usage récurrent du paysage. C'est un piège: en feignant de nous montrer le monde poétisé, distancé, de ses images, Constance Nouvel nous force en fait à une prise de conscience et, en conséquence, à succomber au charme irrésistible qu'elles exercent sur nous et dans lequel elle nous enferme d'autorité.


Henry-Claude Cousseau


Ces images actives, Code magazine


« La vérité d'un énoncé dépend toujours d'un certain cadre de référence », Nelson Goodman, 1978





Comment penser ou repenser en 2012 la photographie, l'un des médiums visuels les plus adoubés de la création contemporaine, C'est par cette question gigantesque mais essentielle que Constance Nouvel a engagé son travail de photographe.


L'artiste se confronte à un monument, mais en bonne archéologue, elle est allée fouiller jusqu'aux fondations de son temple: choix du sujet, cadrage, développement, support, encadrement, exposition. Que sont-ils ? Découlent-ils du réel, ou, comme l'artiste semble l'envisager, sont-ils des artefacts, des éléments de transcription qui font appel à la subjectivité du photographe?


Consciencieusement, Constance Nouvel a d'abord commencé par rassembler le catalogue de ses interrogations et par décortiquer ce qui compose la création d'une photographie. Cherchant la face cachée de ce qui s'est fixé sur le négatif, l'artiste semble vouloir retirer les couches de vernis qui ont dogmatisé une certaine pratique de la photographie. Dans un second temps, elle a engagé un dialogue, presque un duel avec ses clichés. Abordant des visuels apparemment anonymes et souvent figuratifs -un arc en ciel, un paysage abstrait, un coucher de soleil-, elle provoque ses photographies, cherche leurs limites et identifie pas à pas les réponses. Comment l'image réagit- elle lorsqu'on la manipule, qu'on la déchire, la scalpe, la dédouble, qu'on la plie, la déplie, ou l'agrandit? Que devient-elle sur un support posé à terre qu'elle ne saurait être dans un cadre au mur? Que nous dit-elle collée sur une plaque d'acier qu'elle ne dévoilerait pas sur une feuille de plastique ou d'aluminium?


Les oeuvres de Constance Nouvel révèlent que, si la photographie est une empreinte du monde, elle est toujours remaniée par celui qui oriente l'objectif de l'appareil. Les manipulations ont autant à dire que les éléments mimétiques de l'image. Ce trait poussé à l'extrême conduit à une nouvelle découverte : chaque image requiert, voire impulse d'elle-même, un traitement qui lui est propre et qui fait d'elle un sujet à part entière. De concert avec son auteure, l'image prend la parole. L'artiste est alors obligée de traiter chaque cliché selon un processus individuel et non systématique. Ses photographies sont des actes, des gestes résultant d'un moment de dialogue entre l'image et la photographe dans une quête des limites de la subjectivité. Paradoxe suprême, l'artiste aurait poussé la photographie à sa non-reproductibilité technique.


Les photographies de Constance Nouvel sont des objets visuels doués d'une qualité performative et temporelle1. Ce sont des images en situation, à lire dans et avec leur environnement. En se prêtant ici à l'exercice de l'essai visuel pour une revue, support de reproductibilité par excellence, Constance Nouvel confirme la logique de son travail : l'objet visuel est pensé dans son contexte et sera manipulé par son nouveau détenteur qui utilisera sa propre gestuelle pour retrouver l'image.


Elsa De Smet


1 Sur la notion de performativité, se référer à Alain Dierkens, Gil Bartholeyns & Thomas Golsenne (dir.), La performance des images, ULB Livres, Bruxelles, 2010.