Extrait d'une conversation entre Marina de Caro et Albertine de Galbert (Paris, 2023)
ADG : Comment choisis-tu tes couleurs ?
MDC : Ce n'est pas vraiment un choix, je m'en fiche un peu. Il faut juste que ce soit organique. Je n'aime pas quand ça se cogne trop à la réalité. Il faut que les couleurs soient « attachées » les unes aux autres. Par exemple, pour « Hormiga argentina » [fourmi argentine] - les pièces réalisées avec des tubes en textile et installées dans l'escalier de la galerie -, c'est le rose qui m'a aidée à faire un parcours. C'est surtout la répartition des couleurs dans l'espace qui aide à la perception et à la lecture de l'oeuvre de manière organique, de sorte que le visiteur puisse facilement s'en sentir partie prenante.
ADG : Y a-t-il des couleurs avec lesquelles tu ne travaillerais jamais ?
MDC : Non, j'ai fait l'exercice de travailler avec toutes les couleurs, même les couleurs que je n'aime pas.
ADG : Quelles-sont les couleurs que tu n'aimes pas ?
MDC : Le violet.
ADG : Ah, tu n'aimes pas ?
MDC : Je déteste le violet, je déteste cette couleur et pourtant je viens de faire une peinture violette.
ADG : Sais-tu pourquoi ?
MDC : Je n'aime pas. Je ne pourrais pas porter cette couleur-là par exemple, je ne sais pas. Je ne trouve pas de « gestes violets » dans mon corps. Mais même si je n'aime pas, je travaille avec, parce que ça m'aide à sortir de moi-même, sinon je reste toujours dans la même chose.
ADG : Je te parle de couleur parce que c'est très important dans ton travail. Tu fais même partie d'un collectif que tu as créé avec des artistes et des théoriciennes de l'art : le Cromoactivismo. C'est un mouvement qui vise à redonner à la couleur sa portée symbolique, sa portée politique (à l'opposé du Pantone, par exemple, qui classifie, qui neutralise la portée affective de la couleur). C'est ça ?
MDC : Oui mais le Cromoactivismo c'est très spécifique, ce n'est pas la même chose que le travail avec la couleur des oeuvres qui sont dans l'exposition, du travail à l'atelier. Dans le Cromoactivismo on « charge » symboliquement une couleur avec nos expériences individuelles et collectives, politiques. On puise aussi dans les archives, qui, pour moi, sont vivantes. Alors qu'ici, il s'agit de construire une expérience, qui va devenir ensuite « chromo-active ». La couleur n'a pas de valeur symbolique en elle-même, il faut l'expérience. Cette double « valeur » de la couleur, comme contenant et comme contenu de l'expérience, je la travaille aussi dans mon opéra. Dans cette oeuvre-là, la couleur est à la fois symbole, contenu et expérience.