La série Engender Project (2022) décline ainsi les pronoms personnels en anglais comme en français (she, he, il, elle) en parcourant visuellement et par ses locutions et dictions les passages ou chevauchements des mots qui peuvent à la fois les fondre dans une indistinction croissante et en marquer la nette séparation, selon le sens de lecture ou d'énonciation. Ce que les linguistes nomment la "double articulation", la première constituant les monèmes, les plus petites unités de sens, et la seconde, les phonèmes, qui permettent de distinguer les monèmes entre eux (la/ma, par exemple). Parce que la double articulation est propre à tout langage humain, il n'échappera à personne que pour les deux langues ici retenues cette notion est à prendre littéralement et au figuré, puisqu'elle distingue autant qu'elle articule le(s) genre(s) humain(s) et grammaticaux revendiqués socialement depuis un moment. Le titre de la pièce et du "projet" peut d'ailleurs se comprendre comme "mise en genre" comme "en danger" (In danger).
Le langage humain étant aussi lié de manière générale à de très infimes transitions entre le son et le sens, cela plus encore lorsqu'il est poussé assez loin (he.she / i.elle), dans nombre de vidéos et d'installations Gary Hill a très souvent manipulé, déformé, exagéré ces possibilités - notamment en prononçant des textes à l'envers filmés comme tels et ensuite projetés à l'envers pour retrouver le sens premier -, au point de produire souvent du langage abstrait, comme il existe une peinture abstraite. Mais comme le remarquait Picasso à propos de ce genre ou style, il n'y a pas de peinture de rien ; il n'y pas non plus de son de rien, et le son, même très réduit, parfois à une seule lettre (les unités distinctives des phonèmes, tu/ ta), ou à un banal bruit dans la rue (crissement de pneus) peut être compris et interprété selon une certaine signification.
Jacinto Lageira, novembre 2022
La série Engender Project (2022) décline ainsi les pronoms personnels en anglais comme en français (she, he, il, elle) en parcourant visuellement et par ses locutions et dictions les passages ou chevauchements des mots qui peuvent à la fois les fondre dans une indistinction croissante et en marquer la nette séparation, selon le sens de lecture ou d'énonciation. Ce que les linguistes nomment la "double articulation", la première constituant les monèmes, les plus petites unités de sens, et la seconde, les phonèmes, qui permettent de distinguer les monèmes entre eux (la/ma, par exemple). Parce que la double articulation est propre à tout langage humain, il n'échappera à personne que pour les deux langues ici retenues cette notion est à prendre littéralement et au figuré, puisqu'elle distingue autant qu'elle articule le(s) genre(s) humain(s) et grammaticaux revendiqués socialement depuis un moment. Le titre de la pièce et du "projet" peut d'ailleurs se comprendre comme "mise en genre" comme "en danger" (In danger).
Le langage humain étant aussi lié de manière générale à de très infimes transitions entre le son et le sens, cela plus encore lorsqu'il est poussé assez loin (he.she / i.elle), dans nombre de vidéos et d'installations Gary Hill a très souvent manipulé, déformé, exagéré ces possibilités - notamment en prononçant des textes à l'envers filmés comme tels et ensuite projetés à l'envers pour retrouver le sens premier -, au point de produire souvent du langage abstrait, comme il existe une peinture abstraite. Mais comme le remarquait Picasso à propos de ce genre ou style, il n'y a pas de peinture de rien ; il n'y pas non plus de son de rien, et le son, même très réduit, parfois à une seule lettre (les unités distinctives des phonèmes, tu/ ta), ou à un banal bruit dans la rue (crissement de pneus) peut être compris et interprété selon une certaine signification.
Jacinto Lageira, novembre 2022
La série Engender Project (2022) décline ainsi les pronoms personnels en anglais comme en français (she, he, il, elle) en parcourant visuellement et par ses locutions et dictions les passages ou chevauchements des mots qui peuvent à la fois les fondre dans une indistinction croissante et en marquer la nette séparation, selon le sens de lecture ou d'énonciation. Ce que les linguistes nomment la "double articulation", la première constituant les monèmes, les plus petites unités de sens, et la seconde, les phonèmes, qui permettent de distinguer les monèmes entre eux (la/ma, par exemple). Parce que la double articulation est propre à tout langage humain, il n'échappera à personne que pour les deux langues ici retenues cette notion est à prendre littéralement et au figuré, puisqu'elle distingue autant qu'elle articule le(s) genre(s) humain(s) et grammaticaux revendiqués socialement depuis un moment. Le titre de la pièce et du "projet" peut d'ailleurs se comprendre comme "mise en genre" comme "en danger" (In danger).
Le langage humain étant aussi lié de manière générale à de très infimes transitions entre le son et le sens, cela plus encore lorsqu'il est poussé assez loin (he.she / i.elle), dans nombre de vidéos et d'installations Gary Hill a très souvent manipulé, déformé, exagéré ces possibilités - notamment en prononçant des textes à l'envers filmés comme tels et ensuite projetés à l'envers pour retrouver le sens premier -, au point de produire souvent du langage abstrait, comme il existe une peinture abstraite. Mais comme le remarquait Picasso à propos de ce genre ou style, il n'y a pas de peinture de rien ; il n'y pas non plus de son de rien, et le son, même très réduit, parfois à une seule lettre (les unités distinctives des phonèmes, tu/ ta), ou à un banal bruit dans la rue (crissement de pneus) peut être compris et interprété selon une certaine signification.
Jacinto Lageira, novembre 2022
A klein bottle is a mathematical form in which inside and outside are ambiguous instead being one continuous surface. The artist made a video recording of the bottle being made and projected it "inside" the form, a direct reference to Robert Morris's Box with the Sound of Its Own Making from 1961.
Ci joint un extrait du texte de Jacinto Lageira (Janvier 2023)
" Mots en bouteille de mots" (Words in bottle of words)
Cette abstractisation du sens se retrouve dans Klein Bottle with the Image of Its Own Making (2014), citation directe de l'oeuvre de Robert Morris, Box with the Sound of Its Own Making (1961). Dans ce dernier cas, la boîte en bois, fermée et opaque, fabriquée par l'artiste contient l'intégralité du son de sa fabrication des débuts à son achèvement, dont le résultat se trouve devant nous. Gary Hill reprend l'idée, cette fois avec l'image de sa fabrication projetée dans la " bouteille de Klein " et visible par transparence.
Cette curieuse bouteille - imaginée pour la première fois en 1882 par le mathématicien allemand Felix Klein -, contrairement à la boîte de Morris, n'a pas véritablement de bord, ni d'intérieur ni d'extérieur, car les surfaces se confondent. Il n'est pas impossible que, située dans le contexte de cet ensemble où se trouve Engender Project, on puisse considérer cum grano salis que la bouteille n'a pas de genre défini ou les possède tous. Il faut y ajouter la nature du langage humain, et plus exactement sa dimension inéluctablement réflexive, ce que le grand linguiste Émile Benveniste nomma la " double signifiance du langage ".
En énonçant, en écrivant, nous sommes conscients d'utiliser des signes qui signifient pour exprimer d'autres significations sur un deuxième niveau, et tenons ainsi, même implicitement, des propos sur le sens même des signes de nos significations. Dit encore autrement, nous savons qu'en parlant ou en écrivant nous traitons nécessairement de la langue et des signes qui permettent de parler ou d'écrire. La Klein Bottle peut valoir comme le retournement du langage où la signification des signes et la signification sémantique se recouvrent, relèvent d'une double surface où sens et signes pour signifier sont à la fois l'intérieur et l'extérieur de la langue. Le langage avec le son et l'image de sa propre fabrication. Les mots (ou les images) sont la bouteille qui contient les mots (ou les images) dont est elle faite.
Si la bouteille de Klein n'était pas fabricable, on pourrait la tenir pour une intéressante spéculation, une fiction digne de Lewis Carroll, un magnifique truc de prestidigitation, or sa concrétude physique et manipulable évite le biais de certaines expériences de pensée facilement imaginables mais impossibles à matérialiser. Sa modélisation en topologie a même permis d'audacieuses applications dans différentes sciences humaines, par exemple en anthropologie chez Claude Lévi-Strauss.
Dans La potière jalouse[1], l'anthropologue compare divers mythes des Amériques du Sud et du Nord - dans lesquels sont relatés des thématiques communes où les orifices humains et animaux ou d'objets (pipe, sarbacane) jouent un rôle important - en prenant la modélisation matérielle et symbolique de la bouteille de Klein afin de rendre compte des représentations et usages des corps pour les besoins courants comme pour les relations sexuelles. Lévi-Strauss en tire un schème récurrent qu'il résume ainsi : " 1. Le corps du héros entre dans un tube qui le contient. 2. Un tube qui était contenu dans le corps du héros en sort. 3. Le corps du héros est un tube soit où quelque chose entre, soit d'où quelque chose sort. D'extrinsèque au début, le tube devient intrinsèque ; et le corps du héros passe de l'état de contenu à celui de contenant. [...] Autrement dit : le corps contenu est au tube contenant comme le tube contenu est à un contenant qui n'est plus un corps (mais lui-même un tube)[2]. " Les " mythes en bouteille de Klein " intéressent Lévi Strauss en tant qu'ils révèlent un double emploi : une sémantique de l'imaginaire et un usage concret des corps et des objets.
Pour ces peuples sans écriture la mise en bouteille des mythes se fait, bien entendu, grâce au langage, et donc aux inventions et variantes des mythèmes, prenant des figures et des formes plastiques, racontés et transmis oralement.
Les réflexions anthropo-psychanalytiques de Lévi-Strauss furent sans doute influencées par les théories de Jacques Lacan (lui-même fortement influencé par Lévi-Strauss, comme il le reconnaîtra à plusieurs reprises), puisque dans plusieurs Séminaires, ce modèle topologique est convoqué soit directement (la bouteille), soit avec la " bande de Moebius " et autres tores[3]. L'enjeu principal de ce modèle topologique est de comprendre les effets du langage sur le réel, les incidences sur le sujet, sur l'Autre, ou sur le désir de l'autre. D'après Lacan, l'humain étant fondamentalement un être de manque, sentant continuellement en lui un vide, percevant comme un trou dans son être, il cherche à combler ce " manque-à-être " et ce vide par toutes sorte d'inventions et subterfuges, à commencer par le langage, mais aussi par des productions telles que les oeuvres d'art, auxquelles Lacan aura régulièrement recours pour étayer ses théories - l'exposé le plus connu étant l'analyse de l'anamorphose présente au premier plan du tableau Les Ambassadeurs d'Holbein, dans le Séminaire XI (1964).
Or les oeuvres d'art présentent elles aussi un vide, un trou, un manque, et ont même pour principale fonction la présentification du vide que l'on pensait pouvoir combler en les admirant, en en jouissant.
Elles ne font en dernière instance que renvoyer le vide à l'intérieur du vide. D'où le fort intérêt que porta Lacan à la topologie de la bouteille de Klein, simultanément close et infiniment ouverte, un trou plein de vide, pour ainsi dire. Le plus important dans les approches lacaniennes étant bien de saisir ce que le langage produit sur le réel, comment il le façonne ou lui échappe. Et le langage n'est pas toujours certain, explicite, clair, étant lui aussi parsemé de vides, d'absences, de perturbations, de trous sémantiques - par exemple pour attribuer ou désigner des genres -, de sorte que le discours, la parole, ce que l'on pense dire et ce qui est réellement dit, est précisément le lieu même où se fait et se défait le sens, pouvant prendre la forme d'une bouteille faite de mots formant la bouteille qui sert à faire des mots, des paroles, des discours. Nous sommes des êtres de parole continuellement en manque de mots sans lesquels il ne saurait pourtant y avoir de parole.
[1] Claude Lévi-Strauss, La Potière jalouse, Paris, Plon, 1985, chap. XII.
[2] Ibid., p. 134.
[3] La topologie de la bouteille de Klein est longuement développée dans le Séminaire, Problèmes cruciaux pour la psychanalyste (1964-1965)
ainsi que dans le Séminaire, D?un Autre à l?autre (1968-1969), consultable à :
http://staferla.free.fr/S16/S16%20D'UN%20AUTRE...%20.pdf
ou site http://gaogoa.free.fr/SeminaireS.htm
J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI, D'un Autre à l'autre (1968-69), Paris, Le Seuil, 2006.
Bind consiste en une unité combinée télévision/magnétoscope reliée à un livre ouvert par un câble d'acier. Les pages du livre sont pressées contre l'écran du moniteur, couvrant tout sauf le bord, où l'on voit la lumière vaciller au rythme des mots prononcés dans le livre. Tous les silences entre les phrases, les mots et les syllabes ont été tronqués, créant une lecture « automatisée » continue par le « scan » du moniteur.
Le livre de Jacques Ellul, intitulé L'humiliation de la parole, traite des effets de la technologie, des images et de la télévision sur le discours de l'esprit, en particulier sur la relation entre la pensée et la parole.