Patrick Corillon
Jeux de paysages
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Jeux de paysages

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Le dessous-dessus, 2021
© Raoul Lhermitte

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Le cheveu, 2021 (detail)
© Raoul Lhermitte

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Le voyage de la flaque
© Raoul Lhermitte

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Vue de l'exposition "Jeux de paysages", galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris 20.02-26.03.2022
© Thomas Lannes
Courtesy de l'artiste & galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris

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Vue de l'exposition "Jeux de paysages", galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris 20.02-26.03.2022
© Thomas Lannes
Courtesy de l'artiste & galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris

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Vue de l'exposition "Jeux de paysages", galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris 20.02-26.03.2022
© Thomas Lannes
Courtesy de l'artiste & galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris

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Vue de l'exposition "Jeux de paysages", galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris 20.02-26.03.2022
© Thomas Lannes
Courtesy de l'artiste & galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris

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VERNISSAGE LE DIMANCHE 20 FÉVRIER 2022

VISITE GUIDÉE / PERFORMANCE LE DIMANCHE 20 FÉVRIER, À 15H30


Plus d'informations ici


L'histoire de Jeux de paysages commence voici deux ans avec la visite de la Wellcome Collection de Londres. S?y tient alors une exposition intitulée Play Well[1] qui explore les multiples évolutions auxquelles l?activité ludique conduit l'Homme et la société. On y comprend comment elle favorise le développement de liens sociaux, la résilience émotionnelle ou encore le bien-être physique. Sont bien entendu exposés toute sorte de jouets mais aussi des objets design et des ?uvres d?art. Les Artificial Landscape de Constant (1920-2005) retiennent l?attention de Patrick Corillon par leurs formes, par l?interaction spontanée qu?ils suscitent et la place centrale d?une narration où s?organise le concept d?une ville s?étendant au monde.

La remarque a son importance : ces trois éléments sont en effet fondateurs d?une part substantielle du travail de Corillon. En particulier le récit qu?il exploite depuis les années 1980 pour déployer une ?uvre savante et touffue. La question de la réalité de l?imaginaire y occupe une place privilégiée. Les « véritables fictions » qu?il écrit dans le style de l?observation objective s?avèrent par la production d?objets tangibles. Dans le même ordre d?idées, Patrick Corillon appuie ses recherches sur des réalités communes et des expériences largement partagées. Ici, des jouets qui sont ou qui furent bien connus. Ils partagent les vertus d?évidence et de simplicité de la vie quotidienne et des choses à portée de main. Tous suscitent l?interactivité : il s?agit de vivre une épreuve ; pour le public, la qualité d? « intervenant » se substitue à la posture de « regardeur ». Ainsi Les yeux du paysage suivent-ils un modèle largement répandu selon lequel le joueur doit équilibrer un plateau de façon à ce que des billes se logent dans les creux prévus à cet effet pour donner des yeux à un personnage.

A la différence qu?ici la partie ne s?arrête pas une fois les billes immobilisées. Ces dernières portent en effet pour l?une des lettres et pour l?autre des chiffres. Suivant la règle du jeu, il faudra continuer en tissant des associations avec des éléments relatifs tant au monde extérieur (puisqu?il faut donner des noms de ville, de fleuve ?) qu?à la vie spirituelle ou sentimentale. Et puis, il y a le personnage aidé d?une canne. C?est le Juif Errant avec la cohorte des significations qu?il charrie. En attendant l?hypothétique retour du Christ, il parcourt sans répit la Terre et apparaît ci et là : Corillon imprime son image sur fond d?une ancienne carte urbaine ou de « vues » parmi lesquelles les amateurs de peinture reconnaîtront la manière d?Hubert Robert.

Le titre de l?exposition est explicite : il traduit sans détours un double ancrage, d?une part, sur les jeux et, de l?autre, sur les paysages. Outre que joindre deux thématiques, Corillon intrique ses propositions. Les différentes pièces se répondent. Ainsi le Juif Errant apparaît-il de nouveau dans Le paysage sans fin. Ici, le joueur manipule dix aquarelles composées suivant la mise en place d?éléments de continuité ? cinq au total dont bien sûr la ligne d?horizon ? de telle façon qu?elles se juxtaposent indifféremment les unes aux autres. Indifféremment ? pas vraiment puisque chaque mouvement laisse apparaître des recombinaisons de motifs et donc de nouvelles histoires. Comme toujours chez Patrick Corillon, il y a des épaisseurs de lecture. Au-delà de l?activité ludique, on peut se laisser entrainer dans un labyrinthe de sens. L?artiste nous y invite d?ailleurs, par exemple, en précisant que les dix peintures sont « d?après » : d?après un anonyme d?époque romaine mais aussi d?après Patenir, Poussin et Giorgione dont on reconnaît la fameuse Tempête. Il nous renvoie aussi à la miniature persane par la palette, la manière graphique, le système perspectif ou l?appareil référentiel des figures humaines et des architectures. Parmi d?autres choses, l??uvre recèle donc des réflexions sur la construction de l?imaginaire (comment l?édifions-nous ?; au départ de quel héritage ?), sur la véhicularité de notre vision du monde (comment peut-elle passer dans une autre culture ?) et sur une réconciliation des civilisations.

L??uvre de Patrick Corillon active des métaphores, des symboles et des archétypes. On le voit avec la suite de performances reprises sous le titre Dans l?amitié de mes genoux : quatre récits de voyage de 50 minutes racontés par une actrice, que les participants suivent au moyen de plateaux de jeu à animer. « Cette série propose une expérience intime et sensorielle, déclare l?artiste. Elle a pour objectif de plonger les spectateurs dans une histoire dont ils deviennent les acteurs. La question centrale étant : comment nous approprier physiquement et poétiquement nos paysages, nous sentir un véritable acteur de ceux-ci afin de pouvoir nous projeter dans un avenir environnemental et climatique ? » [2]
Il y a des cubes à assembler (C?urs de pierre), des tissus à dérouler (Le cirque des montagnes), des disques à faire tourner (Le voyage de la flaque) et, pour Le dessous dessus, des perles à faire coulisser sur un fil. Ces dernières tracent le périple initiatique du « ver métronome », des profondeurs de la Terre à l?air libre, avec ses embûches - une poche d?huile de schiste -, ses engagements symboliques - un crâne évocateur de la mort, de la vanité de l?existence ou des ancêtres -, et ses rencontres avec différentes créatures dont une taupe, un merle et deux enfants. Il y a beaucoup à dire sur les matériaux employés et la signification des perles laquelle varie d?une culture à l?autre ou encore sur la valeur éducative de l?activité ludique. « Le ver métronome, poursuit Patrick Corillon, apprend à se mouvoir, à penser et à agir par lui-même, rompant avec la ?régularité? de son destin prédéterminé pour s?approprier son rythme propre. »[3] Il s?agit donc de vivre une épreuve impliquant l?apprentissage, la transmission et l?émancipation.



[1] Play Well, du 24 octobre 2019 au 8 mars 2020, Wellcome Collection, London.

[2] Interview avec Patrick Corillon, Liège, 6 janvier 2022.

[3] Idem.


Texte de Pierre Henrion, janvier 2022